« Bon, faudrait que je te raconte l’histoire de la grenade… mais y a tellement de trucs à dire, par quoi commencer ? forcément, des vacheries, les mêmes vacheries qu’on se coltine depuis le Foyer, tu sais ça. Au début qu’on est arrivés, i nous fichaient la paix, les firmiers, i reluquaient en picolant des matchs de foot à la télé, y avait une coupe du monde, i s’envoyaient la boulangère du matin, mais ça, c’était avant, avant qu’on se récupère tous ces migrants, des miséricordieux qu’ont pas de pain mais des microbes, des qu’on a parqués dans le pavillon des barbelés, derrière la déchetterie, pleine d’arsenic ; on les plaint, mais tant pis, nous aussi qu’on trinque. Qu’on est en belligérance avec eux, disent les chiennasses qui nous gardent, nous insultent, des avides, des sadiques. Depuis, donc, ça a changé, et en mal… Alors oui, la grenade… »

Aux pieds des Monts de Targole, la terre est brûlée à nouveau, craquelée, elle ne retient plus l’eau depuis longtemps, la chaleur et la sécheresse préfigurent la catastrophe climatique qui a tout ravagé ici, il y a plus de trente ans. Et puis, il y a cette guerre, dont on ne sait pourquoi, pour qui… Alors on s’enveloppe d’illusions confortables, que l’on soit une employée de bureau amoureuse, un enfant pingouin, un autre enfermé autour de jouets, un facteur vieux et fatigué, une lolita grandissante, des jeunes rêveurs nostalgiques… tous s’ennuient, se croisent, s’accommodent d’un monde plat, épuisé, déshumanisé…